Place des femmes dans l'espace public

Les témoignages de jeunes filles enregistrés à Lorient sont édifiants : les jeunes filles considèrent que « l’espace public ne leur appartient pas », elles ont très peur des réputations négatives qu’elles pourraient subir si on les aperçoit « dehors, dans la rue » ou si elles passent la porte de certains équipements socioculturels (maison de quartier notamment). Elles considèrent normal de devoir faire des détours quotidiennement, et utilisent de nombreuses stratégies pour se dissimuler, et ne pas se faire remarquer dans la rue. Elles acceptent une certaine pression sociale sans vraiment la questionner, et intègrent la peur (de l'autre, des rumeurs, de l'image qu'elles renvoient) comme une composante de leur vie quotidienne :


    « Mais c'est toujours pareil... les garçons c'est eux qui donnent les interdits aux filles. Tu trouves pas ? Moi dans l'espace jeunes, je n'y vais jamais parce qu'il y a que des garçons... »
    «Les garçons ils pensent qu'ils savent mieux que nous comment on doit se comporter et ils ne se privent pas de le dire...
    Un jour, y'avait un spectacle de danse de filles dans la rue et les mecs leur ont jeté des œufs...
    Ben voilà c'est eux qui décident ce qu'on a droit de faire en tant que filles...
    ça me saoule, les gars peuvent prendre tout l'espace, danser et parler fort et nous, en tant que filles, on ne peut pas le faire. Pourquoi on est pas aussi libres qu'eux ? Pourquoi on nous juge ? Pourquoi on n'est pas dans l'égalité ? »
Extraits des interview réalisés dans le cadre de « balades sensibles », projet « Où sont les jeunes » porté par Le grand appétit et la Maison pour tous de Kervénanec

Ce diagnostic rejoint un constat général en France : les jeunes filles à partir de 13-14 ans, commencent à déserter les maisons de quartiers, les centres socioculturels et autres espaces jeunes des villes de l’hexagone. Elles sont aussi bien moins présentes dans l’espace public, qu’elles traversent sans s’arrêter. Lorient n’échappe pas à ce constat, et c’est particulièrement vrai pour les quartiers prioritaires. Les recherches sur l’usage de la ville par le prisme du genre confirment que 75 % des budgets publics destinés aux loisirs des jeunes sont consommés par les garçons (La ville faite par et pour les hommes, Y. Raibaud, 2015 / Thèse "Mixité, égalité, et genre dans les espaces du loisir des jeunes", E. Maruejouls).

Les collégiennes et les lycéennes de 12-17 ans rapportent qu’elles ne se sentent pas en sécurité à cause des groupes de garçons qui restent dehors. Elles ont peur de se faire importuner par les garçons, notamment les plus âgés. Elles n’apprécient pas d’être constamment jugées et regardées par les groupes de garçons et d’être victimes de remarques sexistes. C’est pourquoi, elles s’arrangent pour ne pas les croiser. Pour cela elles mettent en place des stratégies de contournement et d’invisibilité c'est-à-dire qu’elles font le choix d’éviter certaines rues, certaines places ou certains arrêts de tramways et d’en emprunter d’autres qu’elles considèrent comme plus calmes.

L’impact sur la mobilité

La plupart des études récentes ne rendent pas compte des mobilités qui n’ont pas lieues : les femmes renoncent à certaines mobilités, notamment le soir par sentiment d’insécurité bien souvent ou par contrainte personnelle car c’est encore souvent elles qui s’occupent des enfants.

De même elles ont tendance à renoncer à des mobilités qui les envoient loin de chez elles. Elles partent moins souvent à l’étranger ou loin en France et cela concerne aussi le renoncement à certaines opportunités professionnelles.

Enfin, elles utilisent des modes de déplacement différents des hommes, elles sont plus nombreuses à privilégier la marche mais peu moins les deux roues et en particulier les deux-roues motorisés

(Documentaire de Anne Jarrigeon « Toute chose égale par ailleurs » Partie 1 : La mobilité des femmes : une liberté contrariée. réalisé en 2018)

Pour autant , le constat est paradoxal : les collégiennes et les lycéennes apprécient d’investir des espaces extérieurs au quartier où elles sont en quelque sorte anonymes et libres car elles se sentent moins jugées par les garçons. Elles sont plus nombreuses que les garçons à avoir une vie en dehors du quartier donc cela contribue à les rendre moins visibles au sein des quartiers.

Elles cherchent donc à sortir du quartier mais se confrontent à des problématiques de visibilité et à des barrières mentales et sociales qui ne leur donne accès qu’à un environnement connu et sécuritaire par le biais de types de transports connus et sécuritaires eux aussi.

Le projet « Où sont les filles ? Osons sortir ! » propose d’exploiter cette problématique en ouvrant les champs des possibles aux filles issues des quartiers politique de la ville de Lorient. L’objectif est double :

  • Leur faire découvrir de nouvelles mobilités afin d’accéder à des nouveaux environnements pour qu’elles s’y sentent légitime,
  • Impulser une nouvelle mobilité quotidienne intra quartier afin de rendre leur place dans l’espace public elle aussi légitime